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Conte de Noël - Le secret

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Photo : Andrew Dunstan - Unsplash

23 déc. 2022 07:18

Comme chaque année, l’autrice lévisienne Brigitte Allard nous offre un conte de Noël à l’approche du temps des Fêtes. Bonne lecture!

Par Brigitte Allard - Collaboration spéciale

Ma superviseure me montre les livres reçus cette semaine.

- Tu t’en occupes Jade?

- OK.

Puis elle m’offre des truffes aux canneberges.

- Je les ai cuisinées pour nous et les clients. Après tout, nous sommes le 24 décembre!

J’adore travailler à la bouquinerie L’Intemporelle. Offrir une autre chance aux livres usagés. À moi aussi. Ce travail facilitera ta réinsertion sociale, m’a dit mon thérapeute. J’ignorais qu’un jour, je préférerais la poussière des vieux bouquins à la poudre...

Une truffe dans la bouche, je feuillette Histoire du droit canadien. Aucune page cornée, ni déchirée. Surprenant pour un vieux livre! Soudain, une enveloppe bleue glisse du livre. Les donateurs oublient souvent des trucs. Qu’y-a-t-il dedans?

Je découvre un croquis jauni. La cour d’un collège. Quel talent! Au bas, je lis : À Édouard, mon amour pour toujours. C.H. 15 mai 1958. Un mot doux dans un livre plate. Je me demande si leur histoire d’amour a duré. Édouard et C.H. vivent-ils encore? Voyons Jade! Tu es tough, pas romantique. Je dépose ma trouvaille dans le panier des objets oubliés et poursuis ma vérification avec une biographie. 

En milieu d’après-midi, un client se pointe à ma table. Il pourrait être le grand-père que je n’ai pas connu.

- Ta collègue m’a dit que tu fais le tri des livres.

- Oui.

L’homme secoue la neige sur son manteau.

- Je viens de déménager… Je ne suis pas ordonné comme l’était ma défunte femme Alice… J’ai donné un livre de droit à la bouquinerie et oublié une enveloppe bleue…

Je sursaute sur ma chaise.

- Vous êtes Édouard?

Il fronce les sourcils.

- Tu as lu la lettre!

- S’il fallait tout garder sans vérifier, nous serions un marché aux puces et non une bouquinerie.

- Puis-je ravoir l’enveloppe?

Je fouille dans le panier et lui remets.

- Qui était C.H.? Sûrement pas votre femme Alice.

- C’est personnel.

- J’aimerais ça le savoir.

- Pourquoi? Qui es-tu?

- Juste une ex-junkie curieuse.

Il m’observe avec tendresse. Un filet d’eau voile ses yeux bleu-gris. Cet homme cache une blessure. Je lui confie :

- Je sors d’une thérapie. En parler, ça fait du bien.

Édouard hésite, puis s’assoit. Je l’entends murmurer :

- Il s’appelait Charles-Henri.

J’apprends qu’Édouard voulait devenir avocat. Il a rompu avec Charles-Henri, car l’homosexualité était illégale en 1958. Émue, je m’exclame :

- Vous avez préféré suivre la loi plutôt que d’aimer ce gars. C’est triste!

- J’ai eu une belle vie avec ma femme.

- Vous n’avez jamais revu Charles-Henri?

- Non. Je sais qu’il est artiste-peintre.

- Il doit être sur les réseaux sociaux.

- Pas moi.

- Édouard, vous n’êtes pas seulement âgé, mais dépassé!

Il rit. Ses vieilles dents sont plus jolies que les miennes. Je lui propose :

- Envoyons-lui un message.

- Attends! C’est Noël.

- Attendre quoi?  À votre âge…

J’ouvre l’ordinateur et me connecte à partir du compte de L’Intemporelle. Je trouve rapidement la page de C.H. Dubé peintre. Sur la messagerie privée, je tape : C’est Édouard. J’aimerais te revoir. Puis je rajoute son numéro de téléphone fixe.

Surprise! Une réponse entre : Je l’ai souhaité… toute ma vie… Je te contacterai… quand je serai revenu sur Terre. Hé! Le vieux! Tu dois être aussi vieux que moi, hein? Tu m’expliqueras pourquoi tu écris d’une bouquinerie. C.H.

Édouard sourit :

- Son humour me manquait!

***

En sortant de la boutique, la poudrerie me fouette le visage. Mon premier Noël sans neige et je vais bien. 

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