D’après un texte de Céline Dallaire
Née le 24 décembre 1928, Suzanne Roy est la quatrième d’une famille de 14 enfants. Son père, Antonio Roy, tient une boucherie à Saint-Anselme. Été comme hiver, il livre la viande à ses clients accompagné de sa charrette et de ses chevaux.
«Toute petite, Suzanne Roy regardait ce père entrepreneur avec admiration, elle adorait l’entendre dire: ‘‘Suzon, monte dans la charrette, nous allons livrer de la viande’’. Tout doucement, une femme entrepreneure était en train de naître et l’amour de l’entrepreneuriat passait d’une génération à l’autre», partagent ses proches.
En 1949, avec un diplôme de 10e année, elle obtient le poste de secrétaire dans une société coopérative de Saint-Anselme.
Elle rencontre Eugène Dallaire, garagiste à son compte, qu’elle épouse en 1950. Suzanne Roy quitte alors son travail, «selon la convenance de l’époque». Ils auront neufs enfants, dont huit sont toujours en vie.
«Tout au long de ses grossesses, tout en faisant des miracles pour coudre tous les vêtements des enfants et en cuisinant du matin au soir, elle soutiendra son conjoint pour la comptabilité du garage», souligne sa fille Céline Dallaire.
Mais Suzanne Roy aspire à un avenir meilleur pour sa famille.
«Elle avait compris qu’opérer un petit garage dans un milieu rural ne suffirait pas à combler les besoins de ses nombreux enfants. C’est alors qu’elle décida de convaincre son mari de déménager le commerce et la résidence à Lévis. Il aura fallu 15 années de persévérance pour y arriver. Pour un homme qui était bien ancré dans ses habitudes, il adorait sa femme et sa famille pour accepter un tel changement», racontent ses enfants.
C’est ainsi qu’en 1965, la famille s’installe à Lévis dans un bâtiment au 75, route du Président-Kennedy à Lévis. Le bâtiment comble les besoins de l’entreprise avec une salle d’exposition et un garage au rez-de-chaussée ainsi que ceux de la famille avec une résidence à l’étage.
D’ailleurs, «le couple demeurera au 75 Kennedy jusqu’à la toute dernière minute. C’est là qu’ils voulaient vivre et c’est là qu’ils voulaient y mourir. Leurs vœux ont été exaucés», confient leurs descendants.
Eugène et Suzanne se lancent dans la vente de voitures usagées et trois ans plus tard, Eugène devient concessionnaire de la marque Datsun, devenue Nissan aujourd’hui. Soutenu par les enfants, le couple travaille sept jours sur sept. «La marque japonaise faisait son entrée sur le marché. Au départ, ils prenaient un grand risque, car rien n’indiquait qu’ils pourraient faire vivre la famille», se souvient Céline Dallaire.
Dix ans plus tard, les automobiles japonaises ont fait leur place sur le marché. C’est un succès. «Malgré les longues heures de travail, ils peuvent enfin nourrir les enfants sans s’inquiéter.»
Le début de l’aventure Ford
En 1983, Ford Canada offre à Eugène Dallaire la possibilité de prendre la concession Ford. Il rejette l’offre. Les conditions exigées par Ford lui imposeraient en effet de cesser d’opérer la bannière Nissan.
C’est Suzanne Roy elle-même qui relance Ford. «Tout ce qu’elle pouvait leur offrir comme garantie, c’est son expérience dans le milieu de l’automobile. Eugène la laissa négocier avec Ford et la banque», souligne sa fille.
«Rien ne l’arrête, elle ‘‘veut’’ la concession Ford. Elle se lance à la recherche de financement. Après un premier refus d’un banquier, du haut de ses cent livres, mais avec la force de Goliath, elle fait face à un autre banquier qui lui fait confiance et lui offre la marge de crédit dont elle avait besoin pour partir en affaires. Pour cette période, elle avait rencontré un banquier courageux. Il ne le regrettera pas.»
Alors que Ford exige des ventes de 250 voitures neuves la première année, avec ses fils associés, son équipe et elle aux commandes, ils vendront 450 voitures neuves et 300 voitures d’occasion. «C’était parti pour plusieurs années de bonheur et de défis pour elle, pour ses enfants qui l’appuyaient et pour ses employés», mentionne Céline Dallaire.
Suzanne Roy vend sa concession en 2018, elle la dirigera jusqu’à la toute fin, accompagnée de ses enfants et petits-enfants.
«Elle était une entrepreneure batailleuse, mais elle menait ses obligations comme une femme. Elle refusait de dire que c’était plus difficile pour une femme d’être en affaires. Même si elle était souvent la seule femme autour des tables de travail, elle refusait de parler de différence ou de difficulté, elle parlait de défi», témoigne sa fille.
«Elle a toujours parlé de ses employés avec le même amour qu’elle parlait de ses enfants. Elle était reconnaissante du travail qu’ils lui offraient, elle était sensible et aimante pour ces femmes et ces hommes qui se dévouaient au travail. Elle connaissait tous ses clients, son bureau se transformait souvent en lieu de confidence.»