Par Kathleen Couillard et Eve Beaudin – Le Détecteur de rumeurs (www.sciencepresse.qc.ca)[1]
L’origine de la rumeur
Malgré l’absence de preuves scientifiques, de nombreux influenceurs sur les réseaux sociaux vantent les mérites de ces dispositifs, alimentant une peur autour de la glycémie. C’est notamment le cas de la «Glucose Goddess». Ces influenceurs prétendent que chacun devrait surveiller constamment son taux de glucose, même sans indication médicale. Or, cette tendance occulte la réalité du fonctionnement de ces appareils et leur utilité.
Comment fonctionnent les capteurs de glucose?
Les capteurs de glucose, sous forme de pastilles qu’on colle sur le corps, emploient de petits filaments qui percent la peau pour détecter le glucose, expliquait en 2024 le médecin Robert Shmerling, sur le site de l’École de médecine de l’Université Harvard. Ils mesurent ainsi la glycémie interstitielle, c’est-à-dire le glucose contenu dans le liquide qui remplit l’espace entre les cellules.
Ces moniteurs qui permettent d’estimer la glycémie en continu ont commencé à être prescrits aux patients diabétiques dans les années 2000. Récemment, les compagnies Dexcom et Abbott ont lancé des produits accessibles sans prescription.
En plus de faire des lectures en continu du taux de glucose, ces capteurs envoient ces données en temps réel sur le téléphone des utilisateurs. «C’est chez les personnes qui s’injectent de l’insuline qu’il est utile de vérifier les effets en temps réel de leurs injections», réagit le Dr René Wittmer, médecin de famille, en entrevue dans l’épisode du balado Le Détecteur de rumeurs – Glycémie : la vérité sur les pics, capteurs et suppléments.
En 2023, dans un article analysant les données recueillies avec ces appareils, des scientifiques israéliens concluaient que ces dispositifs peuvent être utiles pour contrôler la glycémie chez les diabétiques.
Pas d’avantages pour les personnes en santé
Le Dr René Wittmer précise que ces capteurs n’ont pas d’utilité démontrée pour les personnes en bonne santé qui ont des pics de glycémie normaux au cours d’une journée. Une opinion partagée par le Dr Robert Shmerling de l’Université Harvard, qui mentionnait qu’aucune étude ne prouve actuellement que ces appareils améliorent la santé des gens qui ne souffrent pas de diabète. Selon une revue de la littérature publiée en 2024 par des scientifiques britanniques, les allégations commerciales prétendant que les moniteurs de glucose en continu sont bénéfiques pour les personnes sans diabète sont donc trompeuses.
Certaines études suggèrent cependant que l’utilisation d’un moniteur de glucose par une personne en santé pourrait lui permettre d’adopter des comportements sains lorsqu’elle remarque que les valeurs de glucose mesurées sont supérieures à celles recommandées par son médecin, soulignaient des chercheurs américains en 2020. Par exemple, une étude américaine publiée la même année a montré que les moniteurs de glucose en continu pouvaient servir de motivation, chez les adultes obèses ou sédentaires, pour faire plus d’exercice. Aucune étude n’a toutefois démontré l’efficacité de ces appareils pour modifier les comportements dans la vraie vie, ajoutaient les scientifiques britanniques.
Des études financées par l’industrie
Ces mêmes chercheurs britanniques mentionnaient également qu’une très grande proportion de la recherche sur ces appareils est financée par l’industrie. C’est d’ailleurs le cas de plusieurs des études citées dans cet article. En fait, plus de 50 % de la recherche sur la mesure du glucose est commanditée par l’industrie. Le marché des moniteurs de glucose en continu était évalué en 2024 à 9,3 G$ et on prévoit qu’il continuera d’augmenter de 21,8 % par année entre 2024 et 2032. Les fabricants pourraient ainsi faire d’énormes profits en faisant la promotion de ces moniteurs chez les gens en bonne santé.
Ces dispositifs comportent aussi certaines limites, soulignaient les chercheurs britanniques. Par exemple, la précision des mesures peut varier selon l’appareil, la composition corporelle de la personne et la consommation de certains médicaments. Les données des moniteurs de glucose en continu sont également difficiles à reproduire, même dans des conditions contrôlées.
Les capteurs de glucose ne sont pas un outil de diagnostic
Par ailleurs, les capteurs de glucose ne devraient pas être utilisés comme outil de diagnostic pour le diabète, expliquait le Dr Wittmer dans l’épisode de la balado. «Il y a des outils beaucoup plus efficaces et établis pour poser un diagnostic. Il n’y a aucune situation à laquelle je peux penser, qui est appuyée sur de la science, où je proposerais un capteur à quelqu’un qui n’est pas diabétique, dans le but de faire un diagnostic.»
Les seuils minimum et maximum de glycémie servant à diagnostiquer le diabète ont été établis à partir de tests oraux de tolérance au glucose, réalisés après un jeûne de 10 à 16 heures. La glycémie est alors calculée à l’aide d’une prise de sang. Cette façon de faire est donc très différente de l’utilisation habituelle des capteurs de glucose. Enfin, la mesure du glucose interstitiel a tendance à surestimer le taux de glucose sanguin, en particulier lorsque le sujet est actif.
Leur utilisation comporte des risques pour la santé
Si les capteurs de glycémie sont utiles pour certains diabétiques, surveiller sa glycémie en continu peut avoir des effets négatifs chez les gens en bonne santé. Par exemple, des patients pourraient couper des aliments nutritifs parce qu’ils ont cru voir un lien entre leur consommation et un pic de glycémie, s’inquiète le Dr René Wittmer, qui rappelle l’importance d’une alimentation variée. Au contraire, certaines personnes pourraient se mettre à manger davantage parce qu’elles craignent de tomber en hypoglycémie, notait le Dr Shmerling.
Par ailleurs, certains utilisateurs de capteurs pourraient développer une obsession pour leur glycémie, écrivaient en 2024 deux nutritionnistes sur le site universitaire The Conversation. Cela pourrait ensuite mener à des troubles alimentaires. De plus, ces moniteurs peuvent causer de l’anxiété s’ils produisent de fausses alarmes ou si la personne a de la difficulté à bien interpréter les données.