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Le bon vieux Gary

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16 oct. 2024 09:42

Le passage de Gary Bettman à Montréal lundi, à l’occasion du premier match webdiffusé sur Amazon Prime Video opposant les Canadiens aux Penguins de Pittsburgh, n’aura laissé indifférent aucun membre de la confrérie des journalistes et analystes couvrant les activités de la Ligue nationale de hockey (LNH) au Canada. Pourtant, le commissaire du plus important circuit professionnel de hockey au monde nous a offert un nouvel épisode de ce qui fait son succès à la barre de la LNH depuis plus de 30 ans : son grand talent de négociateur.

Pour ceux qui n’ont pas suivi les tribulations médiatiques du commissaire de la LNH lundi, je vous propose ce petit récapitulatif. Il n’a d’abord pas caché sa joie de voir enfin son circuit débarquer en direct sur l’un des joueurs majeurs des services de vidéo à la demande. Gary Bettman a ensuite déclaré que l’avenir était sur les plateformes numériques et qu’il y avait désormais davantage de téléspectateurs sur ce type de médium, avec la proportion grandissante de citoyens n’optant plus pour le câble ou le satellite pour leur consommation de contenus vidéo.

Comme à chacun de ses passages au Québec ou de ses rencontres avec les journalistes de la Belle Province, le grand manitou de la LNH a aussi répondu à des questions sur la possibilité que la ville de Québec revienne dans son circuit. Gary Bettman a alors dévoilé que son organisation n’avait jamais reçu d’offre sérieuse d’une personnalité d’affaires ou d’un groupe de partenaires afin de ressusciter les Nordiques.

Certains analystes ont alors conclu que le hockey de la LNH, c’est désormais terminé sur les fréquences câblées au Canada à partir de 2026, alors que se terminera le gargantuesque contrat pour les droits de télé au Canada obtenu par Sportsnet et TVA Sports. Et que le rêve d’un retour du circuit Bettman à Québec doit être jeté aux oubliettes.

Pour moi, ces déclarations de Gary Bettman doivent être analysées sous la loupe du rôle premier du grand architecte de la LNH depuis 1993. Le travail de Gary Bettman est simple : négocier le plus férocement possible pour amener le plus de revenus dans les poches des 32 propriétaires d’équipes de la LNH.

Gary Bettman a indiqué lors de son passage à Montréal que l'avenir de la diffusion du hockey de la LNH se trouvait sur les plateformes numériques. - Photo : Jennthulhu Photography - Wikipédia

Maximiser la valeur

En ce qui a trait aux droits télévisuels au Canada, qui sont une vache à lait pour son circuit, Gary Bettman se devait de trouver une parade pour conserver leur valeur. On l’a vu dans les dernières années au Québec, le contrat en cours a fait mal financièrement à Québecor, l’entreprise qui possède TVA Sports. L’autre joueur majeur dans le monde de la télédiffusion d’événements sportifs au Québec et au Canada, Bell (RDS-TSN) fait aussi face à des défis. Ainsi, tous les joueurs de la télé traditionnelle au Canada ont donc tout avantage à ce que les droits de télédiffusion des parties de la LNH ne connaissent pas une hausse stratosphérique.

D’où l’utilité pour Gary Bettman d’agiter la menace des plateformes de diffusion vidéo, comme Amazon Prime Video. On l’a vu au cours des dernières années, les représentants de ce nouveau médium, comme Apple (MLS), YouTube (MLB et NBA), FuboTV (soccer de la Premier League) et DAZN (soccer de la Ligue des Champions), s’arrachent les droits de télédiffusion de matchs sportifs, du contenu qui incitent leurs téléspectateurs à demeurer longtemps devant leur écran.

La nouvelle collaboration nouée avec Amazon permet donc à Gary Bettman d’augmenter le prix des droits de télédiffusion et de maximiser sa valeur. Les chaînes traditionnelles de sports, pour conserver leur pertinence, devront donc mettre la main à la poche. Comme la NFL, la NBA et la MLB, la LNH misera sûrement sur un mode hybride. Les chaînes traditionnelles qui accepteront de payer conserveront des droits intéressants tandis que des plateformes de diffusion vidéo en ligne auront droit à des événements spéciaux, comme le hockey du lundi soir ou le match du jeudi.

Cela évitera à la LNH d’éviter les pièges vécus par d’autres circuits qui ont décidé de tout miser sur les services de vidéo à la demande. La MLS a connu un beau succès avec Apple. Mais cette réussite n’est dû qu’à un seul phénomène, l’arrivée de Lionel Messi, l’un des plus grands joueurs de l’histoire du ballon rond, avec le Miami FC. Quant «Leo» quittera la Floride, est-ce que le nombre d’abonnés sera-t-il aussi élevé? La décision de la Ligue 1, le plus grand circuit de soccer professionnel en France, d’opter pour la télédiffusion de ses matchs sur DAZN, un service de vidéo à la demande dédié exclusivement au sport, a provoqué un tollé dans l’Hexagone parmi les maniaques de foot. D’ailleurs, en raison de ces prix jugés excessifs, l’entreprise britannique a dû multiplier les promotions pour amener les amateurs des équipes de la Ligue 1 sur sa plateforme.

Levier de négociation

Quant aux déclarations de Gary Bettman sur les Nordiques, il faut aussi y voir une partie d’échecs en cours menée par le commissaire de la LNH. En lançant cette révélation, Gary Bettman incite décideurs politiques et hommes d’affaires intéressés par le retour des Nordiques à Québec à passer à l’action et créer les conditions gagnantes pour remplir les exigences de son organisation. Avec la vente l’an dernier des Sénateurs d’Ottawa, on sait désormais que le multimilliardaire ou le groupe qui voudra amener une équipe de la LNH au Centre Vidéotron devra débourser au moins 1 G$ pour faire passer le rêve à la réalité.

Après avoir reçu cette offre ou incité le lancement d'une nouvelle campagne réclamant le retour des Nordiques, Gary Bettman pourra ensuite se tourner vers les milliardaires américains qui caressent aussi le rêve d’accueillir une équipe de la LNH dans leur coin de pays. En touchant autant l'offre que la demande, le commissaire de la LNH remplira de nouveau son mandat. Il augmentera une nouvelle fois la valeur des franchises, permettant à son organisation d’engranger de nouveaux revenus.

Comme plusieurs résidents de la région, j’adorerais que les Nordiques reviennent, notamment parce que mon défunt père m’a légué son amour de cette équipe. Mais si on analyse la situation la tête froide, la LNH n’a aucun intérêt à ce qu’une équipe de son circuit revienne dans la Vieille-Capitale. Le marché québécois lui est déjà acquis grâce à la présence des Canadiens de Montréal et elle a déjà la main sur une grande part des revenus possibles au Québec.

L’ajout de franchises aux États-Unis lui permet de développer de nouveaux marchés, autant de partisans que télévisuels, comme on peut le constater avec les succès des nouvelles franchises à Las Vegas et Seattle. Cela crée de nouveaux revenus pour le circuit Bettman, notamment en ce qui a trait aux droits télé au pays de l’Oncle Sam. C'est la faiblesse de la LNH face aux autres circuits sportifs majeurs nord-américains, qui profitent davantage de la manne américaine pour garnir leurs coffres.

Au final, les personnes intéressées à ramener le hockey de la LNH à Québec devront satisfaire l’appétit vorace de l’organisation pilotée par Gary Bettman pour de nouveaux revenus et déposer une offre que les 32 propriétaires de la LNH ne pourront refuser. Mais à ce point, est-ce que le rêve en vaudrait la peine?

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