Par Claude Genest
Plusieurs Lévisiens ont entendu parler à un moment ou à un autre des légendaires ponts de glace qui se formaient entre Lévis et Québec. Les historiens lévisiens Yves Hébert et Pierre-Olivier Maheux se sont intéressés à ce phénomène naturel qui a marqué la conscience des gens de la région. Contrairement à la croyance populaire, ceux-ci étaient plus rares que l’on pense.
Dans un article paru le 19 décembre 2023 dans Le Devoir, Pierre-Olivier Maheux mentionne qu’entre 1620 et 1910, c’est environ 30 % des hivers qui voyaient un pont de glace se former entre les deux rives. Bref, c’est en gros trois années sur dix, ce qui est moins que l’on imagine étant donné que pendant longtemps il n’y avait pas de navires brise-glace.
Mais voilà qu’en janvier 1977, un important embâcle se forme et les gens de la région de Québec suivent cet événement de près. Fasciné par ce phénomène, j’avais découpé du haut de mes onze ans à l’époque quelques articles que je conserve toujours chez moi. Ils permettent de reconstituer le fil des événements.
Selon les journaux de l’époque, c’est dans la nuit du 11 au 12 janvier qu’un embâcle paralyse le fleuve Saint-Laurent à l’ouest du pont Pierre-Laporte, entre Saint-Nicolas et Cap-Rouge. Le fleuve sera prisonnier des glaces pendant 10 jours. C’est grâce au travail inlassable jour et nuit de cinq brise-glaces, soit le John A. Macdonald, le Labrador, le D’Iberville, le J.-E. Bernier et le Simon-Fraser que l’embâcle cède aux assauts, le jeudi 20 janvier à 21h30. Son départ a aussi été favorisé par les températures plus douces des derniers jours, comme l’indique un compte rendu de Guy Dubé publié dans Le Soleil du 22 janvier 1977.
Avec quelque 20 navires marchands immobilisés entre Montréal et la ville de Québec, les répercussions économiques sont importantes, notamment pour les armateurs. En effet, J.-Jacques Samson écrit dans Le Soleil au cinquième jour de la paralysie fluviale : «lorsque l’on sait qu’un navire immobilisé coûte 5 000 $ par jour à ses propriétaires, il est aisé de conclure qu’il se perd quotidiennement 100 000 $ sur le fleuve, par les temps qui courent».
De leur côté, des employés de Transport Canada soulignent que c’est le pire événement du genre depuis 1968. Cette année-là, l’embâcle avait duré 11 jours. La température très froide avait alors empêché les brise-glaces de travailler durant la nuit.
Ainsi, ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on doit composer avec les aléas de mère Nature découlant du climat imprévisible et extrême qui a toujours caractérisé notre territoire. Comme l’a observé l’Anglais John McGregor, la région de Québec a «un été italien et un hiver russe», nous rappelle André Duval dans son ouvrage Québec romantique.